ACTE 1 : En octobre, je suis invité par mon ami Marc Vénien, avec quelques archers du coin pour une chasse mixte (carabines, arcs) en battue aux gros gibiers, sur un territoire de mon Poitou natal, à 10 minutes de la maison.

Au rendez-vous, je prends le temps de saluer tout le monde et raconte ma chasse estivale d’un bon brocard que j’ai tué sur cette société, à l’approche, au mois d’Aout. Francis, le président, vendait pour la première fois un chevreuil en tir d’été. Il avait par ce geste, montré à nouveau son ouverture d’esprit envers les différents modes de chasse, notamment celui de la chasse à l’arc.

Aujourd’hui, nous chasserons chevreuils, 1 cerf, 1 biche, 1 jeune et sangliers. Nous allons faire le bois dit « le bois…à… gégé ». Le rond terminé, nous partons nous poster.

Marc me faisant confiance, m’indique une partie du bois et me laisse partir choisir un poste à ma guise. J’avance sans bruit le long d’une coupe de 5 ans, large d’une centaine de mètres sur cinq cent mètres de long, située entre une belle futaie et une plaine. Je repère rapidement à une trentaine de mètres dans la coupe, à l’intersection de plusieurs coulées dans les ronces, un excellent chêne pour installer mon tree-stand. Me voilà à trois mètres du sol, hauteur idéale pour moi pour la battue.

A peine le début de traque annoncée, un coup de carabine retentit, cerf mort… ! Dans le même temps, les chiens de « Lulu », heureux propriétaire d’une meute composée d’une douzaine de bassets fauve de bretagne, très chasseurs et très difficiles à arrêter… ! lancent un animal. Ça chasse fort et le récrit des chiens bien en paquet vient dans ma direction.

La chasse prend toute la coupe dans sa longueur. Je me prépare à tirer l’animal de chasse ou un autre se dérobant, poussé par cette belle menée.

Dans mon dos, j’aperçois une chevrette faisant une double pour échapper à ses poursuivants et vient en quelques bonds passer à une quinzaine de mètres de mon arbre. Je suis armé et la suit, impossible de tirer, trop de feuilles, trop de branches, je ne le sens pas, la séquence de tir est rompue…Je la regarde disparaître dans la futaie, alors que les chiens travaillent leur défaut.

La meute reprend le droit après avoir démêlé cette ruse et disparait à son tour d’un joyeux « bien-aller ». Je suis content, moi qui aime la vénerie et le travail des chiens, ce fut un bon moment de chasse. Autre satisfaction, le choix du poste n’a pas l’air mal.

Une chienne reste néanmoins collée à la voie de cette double et n’arrive pas à en sortir, visiblement une vieille ne faisant confiance qu’à elle-même et à son flaire lui jouant des tours, situation annonciatrice d’une retraite proche et sûrement bien méritée … La chevrette sera saluée de quelques tirs maladroits et les chiens arrêtés !!!??!!!

Notre future retraitée, quant à elle, reprend son pied comme le font souvent les chiens courants pour revenir à l’attaque et retrouver le reste de la meute. Je l’entends tout de même donner un coup de voix, puis deux et trois à une centaine de mètres, dans cette magnifique coupe arborant les couleurs d’un automne débutant. Les coups de voix rapailleurs se transforment en un lancer.

Etait-elle à la ramasse total ??

A cet instant, j’avoue avoir pensé qu’elle me foutrait ma matinée en l’air…ou bien… !?? Un bruit de craquement ne me laisse pas le temps de penser plus de mal de cette vieille griffonne.

Le bruit d’un animal venant dans ma direction se confirme, j’aperçois la tête d’une biche à l’écoute entre la végétation. La tension monte…je souffle doucement…, elle se dérobe sans être certaine que la chienne la chasse, dans ce cas, rien ne sert de courir…la meute est bien passée à côté d’elle tout à l’heure et elle savait que ce n’était pas pour elle. Si, si, là, c’est bien pour elle et prend son parti.

Tout s’accélère, elle avance d’un pas sûr dans la coulée passant au pied d’une noisetière située à dix mètres de mon arbre. Elle baisse la tête pour passer sous l’arbuste, elle ne peut pas me voir armer, elle sort de l’écran de feuilles. Je pense et me répète de prendre un point sur l’arrière de l’épaule et de basculer lentement mon buste.

La flèche entre jusqu’à l’empênage exactement là où je regardais. La biche démarre en m’offrant son autre flanc, où, je peux voir ma lame ensanglantée sortir à proximité du coude. Elle disparait.

« La flèche est bonne !! »

Je me calme et sonne tout de suite « biche morte ». Je descends de mon perchoir, pour arrêter immédiatement la chienne le plus discrètement possible qui sympathiquement, n’insistera pas.

Je savoure l’instant…

Quand… « Lulu »… arrive… avec la meute et demande, « où a été tiré la biche ? », je lui réponds, mais tout de suite, connaissant les hommes de chiens Poitevins, ayant tous eu une influence historique et connaissant les grands récits et exploits des grands veneurs de notre belle région…, je m’empresse de lui dire de ne surtout pas mettre les chiens à la voie, car la flèche est belle, mais, il faut lui laisser un peu….

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, qu’il me répond par des grands Là, là, là, lààà… !!!! Les gars !!! Oh coute.. oh coute !!! (comme dans le livre…). Les chiens eux aussi ont bien compris et relancent magnifiquement, à trente mètres du tir, la biche, accompagné d’un superbe Taïaut ! Taïïïaut ! Taïïïïaut !!!!! digne de grands équipages de vènerie de renom, dans lesquels j’ai pu servir…

Je suis catastrophé, même si j’ai mille fois aimé et pratique encore avec bonheur ces moments. La biche prend la plaine, se trouvant à moins de cent mètres et essuie une bonne dizaine de tirs. « Le rêve quoi !!! » La biche est à nouveau annoncée morte. Je ne peux pas reprocher aux carabines de l’avoir tirée, j’aurais fait la même chose. Mais je n’aime pas ce genre de situation, qui donne à tord le sentiment que l’arc n’est pas efficace.

Les hommes de chiens accompagnés de la meute reviennent pour rattaquer. Ils foulent à nouveau la coupe, les chiens rapprochent et attaquent.

J’aperçois l’animal se dirigeant vers moi, le faon suit une coulée différente de la biche. Je ne bouge pas, il s’arrête sous le tree-stand, il baisse la tête pour passer sous la noisetière qui m’a permis d’armer précédemment sans être vu, mon gant de tir est à l’encrage, il sort de dessous les feuilles jaunissantes, s’arrête à quatre mètres, m’offrant de toute sa longueur son dos. Position idéale pour assurer un beau tir, je m’abstiens pensant aux camarades moins chanceux pour qui, cette flèche, sonnerait sûrement aussi la fin de la chasse. Un cervidé dans la journée avec de belles actions de chasses…la gourmandise est un vilain défaut…

Je suis assez fier de ma décision, les chiens emmènent bien la voie de l’animal, avec des récrits bien fournis. Le jeune sera tiré par un archer et tué en plaine par une carabine. Francis comme je l’avais prédit, sonne la fin de chasse.

Je m’empresse de descendre et de démonter mon tree-stand, pour suivre la piste de ma biche. Je trouve rapidement du sang qui m’emmène à une grosse flaque rouge à trente mètres du tir, à l’endroit même de ce magnifique relancer à vue. Je ne peux m’empêcher de pester et penser que sans celui-ci, j’aurais trouvé la biche, ici…alex Tourancheau flaque de sang

Marc, me rejoint et m’accompagne jusqu’à mon gibier, où se trouve déjà le Président, qui me félicite vivement pour cette belle flèche. Dans la fraction de seconde, l’un des auteurs de cette belle salve d’une dizaine de coups de carabine, ayant réussi à mettre une balle dans l’animal, rétorque fièrement « heureusement que je lui mets une balle, sinon, on la courrait encore !! »

Marc, n’ayant pas sa langue dans sa poche et faisant partie de la société, se permet de lui demander en lui montrant le bas du jarret postérieur de la biche : « tu la mets là, ta balle ?? » et sous l’œil amusé de Francis, poursuit… : «  Et bien, heureusement que la flèche était bonne, sinon on la courrait jusqu’à Lusignan » (Lusignan se trouve à vingt kilomètres) Eclats de rire, inutile d’en rajouter…

alex Tourancheau avec biche zoom

La journée se termine autour d’un excellent déjeuner de fin d’après-midi, préparé par Thierry, cuisinier hors pair… 

 

ACTE 2 : Début Février, Marc m’invite à nouveau sur ce même territoire.

Au rond, Francis, nous indique que nous allons chasser « Le bois à Gégé », vraie coïncidence, car ce bois n’est chassé que deux ou trois fois par an. Cette annonce me réjouit car, je sais où aller…

Nous pouvons tirer, 1 jeune, 2 chevreuils et sangliers, sans oublier le renard qui mange « les poules…à…Gégé ». Le Gégé en question est un sympathique agriculteur à grandes moustaches, faisant partie d’une troupe de théâtre locale…un personnage quoi…

Me voilà à mon poste, il va falloir être vigilant car les ronces se sont écrasées et les arbres totalement dénudés, donc, je suis beaucoup plus visible qu’en début de saison. Lulu descend les chiens et foule la grande enceinte dans laquelle je suis posté. « Buisson creux ». Ils traversent la plaine et les chiens attaquent des chevreuils dans un boqueteau, tirés et ratés par les carabines.

Entre temps, le renard mangeur de poules se dérobe pour passer à six mètres d’un archer qui venge brillamment Gégé. La meute de Lulu, fidèle à sa réputation, ne s’arrête pas après les tirs des chevreuils. Tous les rabatteurs s’élancent à la poursuite des griffons, à pied, en voiture, en camion… (il faut les arrêter avant Lusignan… !) Tous, sauf un, il reste avec deux ou trois chiens. N’ayant pas suivi la chasse, je m’amuse à penser que ma vieille retraitée fasse partie de ce lot.

Cette équipe esseulée, trouvant sûrement le temps long, eut la bonne idée de continuer à fouler le boqueteau. C’est de cette manière, que nous entendîmes sonner trois coups, sanglier !! Cette nouvelle eut l’effet d’une bombe, j’ai dû entendre en un laps de temps record cinq ou six fois l’annonce. Je confirme, le sanglier est bien le gibier préféré des Gaulois… !!

Ce joli mâle de cent soixante livres même mené que de trois chiens, avait bien compris que c’était pour lui. Il passe à douze mètres de l’archer ayant rendu Gégé redevable de celui-ci, qui le manque et prend la plaine pour rejoindre le grand bois où je suis posté.

Marc, voit de son tree-stand le sanglier en débuché et dit aux suiveurs et spectateurs de la chasse « ne bougez pas, il va droit sur Alexandre ». La suite des événements lui a donné raison…

Techniquement, le sanglier, s’il vient à moi, va arriver dans mon dos, donc, me voilà debout sur mon tree-stand face au tronc du chêne. Je n’ai pas eu besoin d’attendre longtemps, pour apercevoir le sanglier traverser la coupe au galop dans ma direction. Va-t-il passer à gauche ou à droite de l’arbre ?

Surtout, ne pas armer trop tôt, il pourrait changer de direction. Finalement, c’est à gauche, à un mètre de l’arbre, il est dessous…regarde le cœur…bascule le buste…, j’arme, le suis…et…j’ai oublié ma belle et précieuse noisetière. Ma cadence de tir m’ordonne d’ouvrir mes doigts, la flèche passe juste sous le cœur et légèrement derrière le coude.

Quelques chatons, future convoitise de monsieur l’écureuil, dansent encore accrochés à leur branche, me donnant, le pourquoi du comment de cet échec cuisant.

Il me restait plus qu’à regarder disparaître ce beau sanglier… Ma seule consolation fût de voir arriver en tête ma future jeune retraitée. Le sanglier sortira de l’enceinte sans être tiré.

Inutile de narrer les taquineries et mises en boîte en tous genres bien méritées et que j’accueillis avec humour. Sur le retour, j’esquisse un sourire en y repensant… C’était un prêté pour un rendu, cette noisetiére m’avait donné une biche, pour me prendre un sanglier…

Vive la chasse

Alexandre Tourancheau (ASCA 182)