Histoires Naturelles ! Bis repetita !

Nous sommes le 25 juillet en pleine période du rut du chevreuil et comme tous les ans je chasse le brocard au Sud de la Touraine. Il est 19h15 à l’entrée du bois et je m’interroge une nouvelle fois en cherchant l’intuition qui si souvent m’a offert une rencontre. Mais où aller compte tenu de ce vent assez fort et à la direction peu établie. L’approche est difficile dans ces conditions ; j’opte alors, une fois n’est pas coutume, pour l’affût en l’air.

Un mois plus tôt j’ai placé une plateforme dans une zone de grosses boussées de châtaignier qui affichait quelques indices de présences. Je la connais bien car deux ans auparavant, j’y ai tiré un brocard en allant justement vers ce poste d’affût. Lentement, je m’y dirige en scrutant tout indice de présence. Je lis le sol et me rassure assez rapidement, il y a bien de l’activité et probablement plus qu’il y a un mois. Je redouble de prudence à l’approche du cœur de la zone, le sol est très sec, les feuilles de chêne et de châtaignier font un bruit d’enfer.

Alors que je suis à l’endroit même où, deux ans auparavant j’ai décoché une bonne flèche, je me remémore l’action. A ce moment-là se lève exactement du même endroit où était le brocard deux ans auparavant, un chevreuil que je n’identifie pas. Fuite aboiement… Je souris intérieurement et me dis que c’est trop bête mais que finalement c’est une belle histoire. Bis repetita ! Je reste penaud quelques instants. Que faire alors, il y a-t’il encore une chance avec tout ce raffut… J’avance hésitant de quelques mètres et découvre bien marqués au sol les signes caractéristiques d’une poursuite amoureuse d’un brocard derrière une chevrette autour d’une boussée de châtaignier, le fameux rond de sorcière. Plus surprenant, il est exactement autour de la même boussée de châtaignier que celui que j’avais vu il y a deux ans. Bis repetita. C’est décidé, je reste et grimpe sur mon échelle à 10 m de là !

Alors qu’il est encore très tôt et que le vent souffle par rafale, je me dis qu’il faut être très vigilant car je risque de ne pas entendre les animaux arriver. Peine perdue, je replonge dans mes pensées bercé par la légère oscillation du mât auquel je suis accroché. Je sors soudain de ma torpeur et constate que le vent est totalement tombé. Je perçois alors des pas sur ma droite ! Fort de la recommandation d’un amis chasseur rompu aux affûts de longues durées, je décide de me lever avant même de scruter la zone. A peu près stabilisé sur ma plateforme, j’identifie au loin un cerf qui vient droit sur mon affût. Il est absolument magnifique et progresse avec nonchalance probablement en direction du gagnage en lisière. Le poids de ses 12 andouillés couverts d’un velours soyeux le fait légèrement tanguer à chaque pas alors qu’il se rapproche. Les empaumures sont énormes, je suis si près maintenant, 5 mètres probablement, que je distingue parfaitement les gouttières le long des merrains. Alors qu’il passe derrière les premiers baliveaux de la boussée de châtaignier qui me cache, j’arme à blanc mon longbow comme si… A cette distance c’est immanquable, si seulement un jour j’ai l’occasion… Il poursuit sa route à ma gauche au rythme d’un animal en confiance qui ne m’a pas détecté. Je savoure cet instant assez unique quand mon regard est attiré à ma droite.

Bis repetita, un second cerf tout aussi fort arrive dans les pas de son prédécesseur. Incroyable, il n’y a pas de mot pour profiter à nouveau de cette proximité rare avec des animaux sauvages de cette taille. De nouveau armement à blanc…

La parenthèse se referme, le vent reprend, je savoure et grave dans ma mémoire ces instants en me disant qu’il faudra que je les raconte.

La nuit arrive doucement, le vent se calme et sur ma gauche je perçois de nouveaux pas à 80 m. Le voilà, ce grand brocard. Il est beau, bien régulier. Je peine à le suivre dans les baliveaux. Démarrage en trombe, il poursuit une chevrette qui je n’avais pas vue. Les voilà au galop qui passent dans mon dos à 50 bons mètres. Quel spectacle décidément ! Je me dis que c’est trop ! Trente secondes après, la cavalcade se rapproche dans mon dos. J’assiste alors à la poursuite de la chevrette par un autre brocard, un quatre cette fois ci. Ils tournent peut être vingt fois autour d’une boussée à 10 mètres du premier rond de sorcière. La chevrette émet de légers sons, le brocard ne la lâche pas. Soudain arrive au galop le grand six qui fonce littéralement sur son congénère. Cela va très vite, j’observe sans même envisager une action. Ils passent alors tous à 8 m de la plateforme. Le grand six souffle ou ronfle plutôt. Je n’ai jamais entendu pareil râle.

Tout le monde disparaît, je reprends ma respiration et me disant que cette soirée est décidément exceptionnelle. Enfin le grand six revient toujours au galop pour retrouver la chevrette qui s’est mise à l’écart. Trop loin et trop rapide ils disparaissent dans mon dos.

Songeur je m’assoie, il y aura-t-il un bis repetita ?

Le temps passe la nuit est presque là et soudain je perçois à ma gauche, sur le même passage que celui emprunté par les cerfs mais en sens inverse, une forme qui vient vers moi. Je me lève instantanément, scrute longuement en me disant que c’est probablement le jeune 4 qui revient. Les secondes puis les minutes passent, rien, j’ai dû rêver !

Après 5 minutes d’immobilité, il paraît à nouveau, et progresse vers moi. Il passe derrière les premiers baliveaux, puis c’est ma fenêtre de tir, à 6 mètres probablement. Le museau apparaît puis s’arrête. Mon cœur bat fort, je pense à l’inclinaison de mon buste je suis figé ! Le brocard se détourne et vient quasiment sous l’échelle. Maintenant. La grizzly fait son office et cloue au sol le brocard à moins de 3 mètres. Moment hors du temps d’une intensité rare ! Le calme après la tempête. 

Alors que les derniers coups de patte dans les feuilles se font entendre, je distingue derrière moi le galop trop connu du grand six. Prêt à défendre son territoire, il s’approche et stoppe à quelques mètres puis s’approche à nouveau pour s’immobiliser à 1 m de son congénère sous ma plateforme. Bis repetita ? Non ! Le museau tendu, il hume la flèche et démarre en trombe avec l’aboiement du vainqueur !

Je savoure longuement ces émotions. Je ne suis pas au spectacle d’une Nature grandiose, je me sens dans l’intimité de cette vie sauvage, authentique, ancestrale, où chacun a sa place.

Une fois de plus, je sais pourquoi je chasse à l’arc !

Xavier d’Ouince

ASCA 135